⚠ CE SITE EST UNE ARCHIVE DU SITE DU PETITHÉÂTRE DE SION (2005-2015) ⚠
En 2021, le Petithéâtre de Sion est devenu le Spot. Infos et actualité sur www.spot-sion.ch.
Quartett par l'Obsidienne Compagnie et la Compagnie.sh (CH)
DU 6 AU 16 NOVEMBRE 2014 | jeudis à 19h, vendredis à 20h30, samedis à 19h et dimanches à 17h
Distribution
texte : Heiner Müller, d'après Laclos (Les Liaisons Dangereuses)
traduction de l'allemand : Jean Jourdheuil et Béatrice Perregaux (Éditions du Minuit, Paris, 1982)
mise en scène : Stefan Hort
avec Cathy Sottas et Pierre-Pascal Nanchen création décor, lumière et son : collectif régie : Dominique Fumeaux
coproduction : CMA - Petithéâtre de Sion avec le soutien de la Ville de Sion, l'État du Valais, la Loterie Romande, la BCVs
Le spectacle
Quatre personnages interprétés par deux protagonistes. Les deux fauves que sont Valmont et Merteuil, au cœur de leur lutte mortelle, s'échangent les rôles et personnifient leurs victimes.
Quartett, écrit par Heiner Müller en 1980, condense et enflamme la matière des Liaisons Dangereuses de Pierre Chordelos de Laclos. Objet des célèbres transpositions cinématographiques de Milos Forman et de Stepen Frears, le roman relate les aventures du vicomte Valmont et de la marquise de Merteuil, deux nobles et cruels libertins.
Müller en adapte une prose poétique empreinte d'une forte physicalité. L'auteur déclare, à propos de son texte, que «l'art plonge ses racines dans le sang et se nourrit de ces mêmes racines. L'adhésion à l'horreur, à la terreur fait partie de la description de l'horreur et de la terreur. C'est le cas des Liaisons Dangereuses.»
La version de Müller, brutale, truffée d'humour noir et cruellement débauchée se situe dans une dimension spatio-temporelle qui se déploie entre un salon d'avant la révolution française à un bunker d'après la "troisième guerre mondiale". L'Histoire est là, devant la porte...
L'auteur et le texte
L'AUTEUR
« Poète et auteur dramatique allemand. Placé à la charnière des deux Allemagnes, il inquiète l'une et séduit l'autre. Il finit par s'imposer des deux côtés comme un des créateurs les plus puissants et une des consciences les plus aiguës de l'Europe déchirée de l'après-guerre. »
Son enfance est imprégnée de la montée du totalitarisme nazi. La vie d'Heiner Müller oscille entre les deux parties de
l'Allemagne divisée. Par ses positions idéologiques fortes, souvent à contre courant de l'intelligentsia et par la puissance de son écriture, Heiner Müller se retrouve régulièrement en porte-à-faux vis-à-vis de ses contemporains, mais la contradiction ne lui fait pas peur. Au travers de son parcours d'écrivain dramatique, il aborde d'abord "les pièces de production" sous le modèle brechtien, qu'il rejettera par la suite, puis s'attaque à la ré-écriture de mythes pour ensuite s'intéresser, à nouveau, à la question politique. « J'aime bien avoir un pied de chaque côté du mur. C'est peut-être une position schizoïde, mais aucune autre ne me paraît suffisamment réelle. »
De part ses vigoureuses prises de position, sa vie fut placée sous le signe du refus de la compromission, de la lutte personnelle ou sociale. À sa mort, Heiner Müller est devenu un auteur incontournable.
« Je crois au conflit. Sinon je ne crois à rien. » H. Müller
LE TEXTE Des Liaisons dangereuses... Ces personnages, ce couple mythique que forme Mme de Merteuil et le Vicomte Valmont, ancrent leurs existences dans le scandaleux roman épistolaire Les Liaisons dangereuses sorti de presse en 1782 sous la plume du romancier français Choderlos de Laclos (1741– 1803). Il y met en scène, à travers leur correspondance, deux libertins qui rivalisent d'inventivité pour corrompre la réputation de ceux qui les côtoient.
Le contexte historique
La société décrite et stigmatisée par le romancier appartient à une époque très précise. Sous l'apparent rigorisme étroit des dernières années de règne de Louis XIV (1643-1715) succède soudain une explosion libératrice d'une ère nouvelle : la Régence (1715-1723), où l'on se livre alors ouvertement aux plaisirs et à la débauche. Si ce système se prolonge encore sous Louis XV, les temps changent avec Louis XVI (1774), roi épris de simplicité, de vertu et d'honnêteté. En se cachant à nouveau, la scélératesse s'intensifie et perfectionne ses méthodes. En ôtant à la noblesse ses prérogatives, en limitant son pouvoir et par là- même ses ambitions, le Roi-Soleil a créé une race nouvelle : l'homme de cour, oisif de haut rang dont l'existence abonnée aux loisirs est consacrée aux choses de l'amour.
L'archétype du libertin
Le mot libertin, qui puise ses racines dans le latin libertus, désigne tour à tour l'affranchi, puis l'hérétique, notamment sous la plume Calvin. Durant les XVIIe et XVIIIe siècles, il s'enveloppe ensuite d'une connotation morale et qualifie un homme libre d'esprit puis libre de mœurs. À cette époque également, le "petit-maître", préfiguration du libertin, sévit dans les salons de la bonne société. Ce persifleur, égoïste et méprisant, détruit les réputations et considère les femmes comme l'instrument de sa renommée et pour lui, pudeur, principes, vertus et religion ne sont que des préjugés ridicules. Mais rapidement il cédera lui aussi sa place au tartuffe de mœurs, décrit comme « le scélérat méthodique, le scélérat aimable dont le petit-maître n'était qu'une ébauche. Aimable parce que le séducteur est redevenu honnête homme, poli, raffiné dans sa manière et son langage ; aimable parce qu'il a toutes les grâces et les travers à la mode, qu'il est amusant et dangereux; aimable parce qu'il sait parler d'amour aussi. Méthodique parce qu'il connaît les ressorts du coeur et possède la science et la patience des longs investissements, le goût des savantes et progressives perversions. »
?
Ainsi, la corruption qui s'étalait autrefois ouvertement s'intériorise, s'intellectualise. L'on prend goût au double jeu, à l'hypocrisie, pour mieux se livrer à de savantes manoeuvres et à de calculs compliqués pour sauver la face, pour donner à autrui le change entre l'être et le paraître.
Dans le texte de Laclos, Mme de Merteuil et le Vicomte Valmont sont de réels maîtres en la matière. Deux joueurs, deux rivaux, deux complices, deux monstres. Le duo infernal manipule et pousse les limites de jeu à l'extrême, toujours plus loin, toujours plus. Jusqu'où peut-on pousser le jeu, le vice?
Au sommet de leur art, ils sont l'archétype du couple libertin et occupent cette place si étroite au sommet de la hiérarchie des prédateurs.
... à Quartett
À l'image de ses personnages, Müller ne garde que les éléments clés du sulfureux roman de Laclos, et il nous livre une dernière joute magistrale, une ultime danse de séduction, le chant du cygne du duo infernal déjà sur le déclin, dans un huis-clos tendu où se succèdent masques, stratégies et double jeu. Ils mettent en scène leur propre affrontement, en rejouant quelques épisodes de leurs stratagèmes pour notamment faire tomber La Tourvel, femme mariée et proche des enseignements de l'Église, ou encore s'offrir la virginale Cécile de Volanges, objet de la vengeance de Merteuil.
À travers cette reconstitution du drame jouée par les libertins, hantés par leurs propres peurs - l'ennui et l'érosion des corps - ils se jaugent, se toisent encore et toujours, tantôt proie, tantôt chasseur, et, en parfaits connaisseurs de l'adversaire, ils s'attaquent avec volupté. Le mot devient alors une arme, un coup de griffe. Le jeu poussé au point de devenir leur propre prison, entraînera la fin du duo par l'empoisonnement du verre de vin destiné à l'éternel amant. Suicide?
En abordant l'inéluctable défaite du corps face au temps, l'ennui face au vide, ils remplissent alors leur abîme intérieur en revendiquant la liberté de mœurs et en s'affranchissant du troupeau, s'isolant ainsi au fur et à mesure dans leur propres illusions.
LES INTENTIONS DE LA COMPAGNIE
Avec son Quartett, Heiner Müller nous dévoile un texte d'une grande puissance, particulièrement séduisant par son cynisme et par l'acerbité des propos que s'échangent la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, les deux héros libertins des Liaisons dangereuses. Durant cet ultime combat, cette joute verbale, ce sont les mots qui sont choisis comme armes principales et de prédilection et Quartett nous rappelle à quel point le verbe peut être destructeur, voire fatal.
Le texte d'Heiner Müller, d'une pertinente actualité, nous renvoie également à cette absurdité qu'est la guerre des sexes et nous plonge dans cette réflexion : peut-il y avoir un vainqueur et un vaincu? Chacun semble envier, convoiter les armes de séduction de l'autre, sa place, son pouvoir. Ce couple semble agir comme un monstre polymorphe à deux têtes, où chacun devient le miroir déformé et sexué de l'autre, son pendant complémentaire. En cherchant à combler ce manque, ce vide, par l'illusion de l'être parfait, Merteuil et Valmont entrent ainsi dans le panthéon des couples légendaires à l'instar de Adam & Eve, La Belle & la Bête, Roméo & Juliette, Bonnie and Clyde, Hollande et Gayet...
Enfin, au-delà des mots et de la langue, les thèmes que soulève cette pièce, notamment sur la séduction, le pouvoir et l'impuissance, sont inhérents à la condition humaine. La grande lucidité des personnages sur eux-même, leur distance et leur dignité face à leur décrépitude, à leur chute et à leur mort même pose des questions universelles. Ce jeu dramatique qu'ils rejouent une dernière fois est si désespéré qu'il leur redonne toute leur humanité...
EXTRAIT DU TEXTE
Premier extrait
MERTEUIL : Valmont. Vous êtes à l'heure. Et pour un peu je regretterais votre ponctualité. Elle abrège un bonheur que j'aurais volontiers partagé avec vous, mais il se trouve justement qu'il est impossible à partager, si vous comprenez ce que je veux dire.
!
VALMONT : Dois-je entendre que vous êtes de nouveau amoureuse, Marquise. Eh bien je le suis aussi, si vous appelez ça comme ça. Une fois de plus. Je serais désolé d'avoir interrompu un amant en train de donner l'assaut à votre belle personne. Par quelle fenêtre s'est-il échappé. Puis-je espérer qu'il se sera cassé le cou.
MERTEUIL : Fi, Valmont. Et gardez votre compliment pour la dame de votre coeur, où que se situe cet organe. J'espère pour vous que la nouvelle gaine est dorée. Vous devriez me connaître mieux. Amoureuse. Je nous croyais d'accord là-dessus, ce que vous appelez l'amour est l'affaire des domestiques. Comment pouvez-vous me supposer capable d'un mouvement aussi bas. Le bonheur suprême est le bonheur des animaux. Assez rare qu'il nous tombe du ciel. Vous me l'avez fait éprouver de temps en temps, quand il me plaisait encore de vous utiliser à cela, Valmont, et j'espère que vous ne repartiez pas les mains vides. Qui est l'heureuse élue du moment. Ou peut-on déjà dire Ia malheureuse.
VALMONT : C'est la Tourvel. Quant à celui qu'il vous est impossible de partager
MERTEUIL : Jaloux. Vous, Valmont. Quelle rechute. Je vous comprendrais si vous le connaissiez. D'ailleurs je suis sûre que vous l'avez rencontré. Un bel homme. Bien qu'il ne soit pas si différent de vous. Les oiseaux migrateurs sont pris eux aussi dans les filets de l'habitude, même quand leur vol se déploie sur des continents. Tournez- vous je vous prie. L'avantage qu'il a sur vous, c'est la jeunesse. Même au lit, si vous voulez le savoir. Voulez- vous le savoir. Un rêve, si je vous prends, vous Valmont, pour la réalité, pardonnez-moi. Peut-être que plus rien ne vous distinguerait l'un de l'autre dans dix ans, à supposer que je puisse maintenant, d'un amoureux regard de méduse, vous changer en pierre. Ou en un matériau plus plaisant. Une image féconde : le musée de nos amours. Nous ferions salle comble, n'est-ce pas Valmont, avec les statues de nos désirs en décomposition.
Deuxième extrait
MERTEUIL : Vous avez donc retrouvé votre peau, Valmont. Nul homme dont le membre ne se raidisse à la pensée que sa précieuse chair doit disparaître, c'est l'angoisse qui fait les philosophes. Bienvenue dans le péché et oubliez le tronc d'église avant que la dévotion vous submerge, vous allez oublier votre seule vocation. Qu'avez-vous appris si ce n'est à manoeuvrer votre queue dans un trou en tous points semblable à celui dont vous êtes issu, avec toujours le même résultat, plus ou moins divertissant, et toujours dans l'illusion que l'applaudissement des muqueuses d'autrui va à votre seule personne, que les cris de jouissance vous sont adressés à vous, alors que vous n'êtes que le véhicule inanimé de la jouissance de la femme qui vous utilise, indifférent et tout à fait interchangeable, bouffon dérisoire de sa création. Vous le savez bien, pour une femme tout homme est un homme qui fait défaut. Et vous savez également ceci, Valmont : bien assez tôt le destin vous enjoindra de n'être même plus cela, un homme qui fait défaut. Au fossoyeur de trouver ensuite sa satisfaction.
VALMONT : Quel ennui que la bestialité de notre conversation. Chaque mot ouvre une blessure, chaque sourire dévoile une canine. Nous devrions faire jouer nos rôles par des tigres. Encore une morsure, encore un coup de griffe? L'art dramatique des bêtes féroces.
MERTEUIL : Vous perdez votre aplomb, Valmont, vous devenez sensible. La vertu est une maladie infectieuse. Qu'est-ce que c'est, notre âme. Un muscle ou une muqueuse. Ce que je crains, c'est la nuit des corps. A quatre jours de voyage de Paris, dans un trou bourbeux qui appartient à ma famille, cette chaîne de membres et de vagins alignés sur le fil d'un nom de hasard accordé à un ancêtre mal lavé par un roi puant, quelque chose vit, entre l'homme et la bête. Que j'espère ne pas avoir à rencontrer, ni dans cette vie, ni dans une autre, à supposer qu'il y en ait une autre. A la seule pensée de son odeur, je sue de tous mes pores. Mes miroirs exsudent son sang. Cela ne trouble pas mon image, je ris du tourment des autres comme tout animal qui est doué de raison. Mais il m'arrive de rêver qu'il surgit de mes miroirs sur ses pieds de fumier et sans visages, mais je vois ses mains avec précision, griffes et sabots, quand il m'arrache la soie des cuisses et se jette sur moi confine la terre sur un cercueil, et peut-être sa violence est-elle la clef qui ouvre mon coeur. Allez, Valmont. La vierge demain soir à l'opéra.
Les compagnies
Obsidienne Compagnie
Créée en 2012 par Pierre-Pascal Nanchen, l'Obsidienne Compagnie se veut un espace de rencontres, d'échanges, un forum, tout en mettant en avant la volonté de créer régulièrement des spectacles et manifestations artistiques. Tous les membres, une trentaine actuellement, issus d'horizons différents (écriture, peinture, photographie, architecture, théâtre, musique, cinéma, etc.) ont quelque chose en commun : cet attrait attirance pour l'art, pour la vison artistique. L'art questionne, rassemble, divise, dénonce, amuse, bouscule, traduit, transpose, transcende. Dans cet élan de décloisonnement, un forum d'échange est en construction à travers la compagnie. Dans cet esprit, chaque membre amène ce qu'il peut, dans la mesure de ses possibilités et
de ses envies, en gardant une totale liberté de se retirer à tout moment, de graduer ses implications, de proposer des choses, d'échanger des points de vues, des réflexions des sensations.
Compagnie.sh
La compagnie.sh a été fondée en 2014 sous l’impulsion de Stefan Hort, son actuel directeur artistique. Association basée en Valais, elle promeut les arts de la scène par le biais de la création de spectacles professionnels mêlant couramment le théâtre à d’autres arts de la scène, tels que le cirque ou encore la danse. Tout en sollicitant l’inventivité et la réactivité du spectateur, les artistes impliqués dans les créations de la compagnie se plaisent à croiser le théâtre aux arts visuels, à la composition sonore ou encore aux arts numériques, de sorte que le texte et la narration entrent en osmose avec ces différents médiums, l’ensemble faisant sens. Enfin, tout en se définissant comme résolument contemporaine, la compagnie.sh souhaite être accessible au plus grand nombre et développe notamment diverses initiatives de médiation culturelle autour de ses projets.
Mood Board : images d'inspirations
Photos de répétition
L'affiche du spectacle
Le teaser du spectacle, ou quand Pamela Merteuil rencontre David Valmont à la plage (réal : Dominique Fumeaux)
Extrait du spectacle
Le Déchiré de Rideau, avant-spectacle par la Cie Gapsard
"", par Jean-François Albelda, Le Nouvelliste, 06.11.14