L'AUTEUR
Blandine Costaz signe ici sa première pièce.

LE TEXTE
« Veilleuse est une pièce écrite il y a longtemps alors que j'habitais à Berlin. J'ai, depuis, beaucoup écrit mais pas de théâtre et je n'envisage d'ailleurs pas d'en écrire à nouveau. Il y a quelque chose qui, pour moi, ne pouvait se formuler que sous une forme théâtrale à ce moment-là. Il est évident dès les premiers échanges entre les deux personnages qu'il s'agit d'un duel et il n'y a, pour moi, pas de meilleure forme pour exprimer ce duel que le théâtre. Ce que j'ai voulu exprimer dans Veilleuse a trouvé un écho dans les personnali- tés de la compagnie Mladha : Mathieu Bessero et René-Claude Emery. J'en suis heureuse et je me réjouis par avance du dialogue avec eux, dialogue permettant d'enrichir ce texte de leurs expériences et visions. »

Blandine Costaz

EXTRAIT DU TEXTE
Lucie
Ce n'est pas que la vie ne vaille pas la peine d'être vécue. Non, ce n'est pas cela. Quand, par exemple, je dis « il faut que je touche le fond » et qu'une plaquette de chocolat n'est pas loin, c'est d'elle, naturellement, que je parle.
Quand je dis « le premier qui m'emmerde, je le bute », je ne fais que le dire.
C'est une image, bien entendu.
Quand je dis « j'ai besoin de goûter ce nouveau chocolat aux amandes ». J'y vais, je sors de chez moi et j'achète ce nouveau chocolat aux amandes.
Je ne sors pas armée.
Je le goûte quand je suis de retour chez moi, pas avant.
Le revolver m'attend.
Ici.
Quand je dis « il y a des gens qui mériteraient la mort », c'est de moi que je parle, bien entendu.
Mais ce n'est pas que la vie ne vaille pas la peine d'être vécue, non, ce n'est pas ça.
Il y a le chocolat, il est proche de moi.
Quand je dis « j'aime le goût du chocolat », c'est vers lui que je me dirige, que mon corps se tend. J'ai du désir pour ça, l'eau me vient à la bouche.
Il y a des gens qui disent « les femmes ne sont pas violentes, elles ne font pas la guerre ». C'est exact. Je ne fais pas la guerre. Je travaille, je rentre chez moi, j'achète du chocolat, je mange du chocolat.
Je parle.
Et si jamais il y avait la guerre, bien sûr, je ne la ferais pas. Je partirais.
Peut-être que j'en tuerais quand même quelques-uns avant de partir, avant de ne pas la faire.
Ce serait l'occasion, naturellement.
Peut-être que j'achèterais du chocolat, que je partirais dans les montagnes, que j'emmènerais mon arme.
Elle ne pourrait pas rester seule chez moi. Quelqu'un pourrait la prendre et s'en servir.
Moi, je ne m'en servirais pas, je serais armée, c'est tout.
C'est une force d'être armée.
Il y a des gens qui disent « les femmes ont des enfants ». J'en ai.
Deux.
Eux aussi mangent du chocolat. Ils ne sont pas armés, ils sont trop jeunes.
Je surveille leur sommeil.
C'est important les enfants.
Les enfants…le chocolat.
Il y a des gens qui disent « tous les hommes sont égaux ».
Ça non. Non, je ne crois pas.
Il y a ceux qui ont tout ce que j'ai, ceux qui n'en ont qu'une partie, ceux qui n'ont rien et ceux qui ont plus, beaucoup plus que moi.
Ceux qui ont tout ce que j'ai partiront dans la montagne, ceux qui n'en ont qu'une partie resteront, ceux qui n'ont rien mourront et ceux qui ont plus, beaucoup plus que moi, la feront. La guerre.
Il y a des gens qui disent « les femmes, ça se baise ».
Oui, mais moi, je suis armée.
C'est bon.

La Compagnie Mladha est née de la rencontre de trois jeunes créateurs/comédiens (Gilles Brot, René-Claude Emery et Mathieu Bessero), amis de longue date, sur la scène comme à la ville. Le nom de la compagnie vient d'une ville tchèque près de laquelle ils ont suivi un stage ensemble, cette ville s'appelle Mladà Boleslav.
Trois amis, trois sensibilités, mais surtout la même envie d'expérimenter, de dépasser leurs limites, de découvrir ensemble la discipline théâtrale, ses difficultés et ses richesses, et le désir commun de partager avec le public leur propre réflexion sur le monde.

« Avec la Compagnie Mladha, nous voulons défendre un théâtre à la fois exigeant et proche des gens, sans grand discours, mais qui tend à l'essentiel: le plaisir des sens. »
Gilles Brot

« Depuis longtemps nous rêvions de faire notre théâtre, de défendre notre point de vue, d'ébranler ensemble nos certitudes. La compagnie et ses projets nous permettent de réaliser ce rêve et de poursuivre et approfondir notre exploration artistique. »
?René-Claude Emery