L'AUTEUR
Fabrice Melquiot, né en Savoie, fut d'abord acteur avec Emmanuel Demarcy-Mota et la compagnie Théâtre des Millefontaines. Parallèlement il écrit. En 1998 ses premiers textes pour enfants Les petits mélancoliques et Le jardin de Beamon sont publiés à l'Ecole des loisirs et diffusés sur France Culture. Il reçoit le Grand Prix Paul Gilson de la Communauté des radios publiques de langue française et, à Bratislava, le Prix européen de la meilleure œuvre radiophonique pour adolescents.
Ses textes sont publiés chez l'Arche Editeur . En 2002/2003, pour sa première saison à la tête de La Comédie de Reims, Emmanuel Demarcy-Mota invite Fabrice Melquiot à le rejoindre comme auteur associé, membre du collectif artistique de La Comédie et met en scène L'inattendu et Le diable en partage, au Théâtre de la Bastille (Paris) à La Comédie de Reims et en tournée. En 2004, le compagnonnage se poursuit avec la création de Ma vie de chandelle, à La Comédie de Reims et au Théâtre de la Ville (Paris).
En 2003, Fabrice Melquiot s'est vu décerner le prix SACD de la meilleure pièce radiophonique, le prix Jean-Jacques Gauthier du Figaro et deux prix du Syndicat National de la Critique : révélation théâtrale de l'année, et pour Le diable en partage : meilleure création d'une pièce en langue française.
En 2012-2013, Fabrice Melquiot prend la direction du Théâtre Am Stram Gram à Genève. Paul Desveaux y met en scène Frankenstein, et Ambra Senatore la chorégraphie de Nos amours bêtes (70 dates de tournée pour ces 2 spectacles). Si l'essentiel de son écriture est tournée vers le théâtre, une autre passion habite Fabrice Melquiot : la poésie. Les textes de Fabrice Melquiot sont traduits dans une douzaine de langues et ont été représentés dans de nombreux pays : Allemagne, Grèce, Mexique, Etats-Unis, Chili, Espagne, Italie, Japon, Québec, Russie…
Remarquable par sa phrase courte et son sens de l'ellipse, posant pièce après pièce la question du mal sans jamais s'enfermer dans la limite d'un sujet unique ou d'un théâtre réaliste, Fabrice Melquiot reçu en 2008 le Prix Théâtre de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre.
LE TEXTE
"Interroger le rire, le besoin de rire ou de faire rire: obsession contemporaine. L'air ambiant chargé d'humoristes, de boute-en-train, d'amuseurs. Penser à Aristophane, ou aux grands poètes comiques qui ferraillaient avec les gouvernements et jetaient de l'huile à rire sur le feu social. Laisser affleurer, en éclats, les contractons mythologiques qui fondent nos individualités. À travers un personnage, Cathy Moulin. Envie de l'arme simple de la parole. Au fond, ce que chercher Cathy, c'est à contrer la grande entreprise de l'isolement, son isolement au sein d'une société qui réclame d'elle un rire de plus et la légèreté, quand elle sent que tout est grave, infiniment plus grave..." Fabrice Melquiot
Fabrice Melquiot nous entraîne avec humour dans les eaux troubles de nos existences, ces "grands moments de solitude", ces "tracas quotidiens" qui nous empoisonnent, nous figent et nous mettent "hors de nous". Mais il nous donne aussi à observer les métamorphoses que la vie nous offre. Une langue brute, interrompue, qui passe d'une forme de vulgarité quotidienne qui nous brise les reins au témoignage sourd, poétique, créant des chocs, comme pour mieux en faire exploser les codes et y trouver son langage propre."
Nathalie Boulin
DIRECTION DONNÉE À PIÈCE
La vie, telle une « mauvaise herbe » poussant dans les lieux les plus inattendus, reprend ses droits, quelles que soient les situations. L'imaginaire comme outil à réinventer le monde. Lorsqu'un être est capable de poétiser son quotidien, il le transforme, lui donne une saveur autre. J'ai de l'admiration pour les « anti-héros », je pense aux personnages des films de Kaurismäki, de Murakami, ou à Yolande Moreau, qui ont une épaisseur de vie, un décalage sublime, drôle et poétique, et une capacité à transformer « la réalité », réinventer des possibles, à briser nos structures désuètes qui tendent parfois à nous nécroser dans nos peurs et l'inaction. Je pense que la joie, le rire, la poésie, la danse et la musique seront les invités d'honneur à ce spectacle.
Que le rêve éveillé pique les frontières du réel, réenchante le monde et surtout que cela nous fasse du bien ! Je souhaite aller dans ce sens.... »
Nathalie Boulin
LES INTENTIONS DE LA COMPAGNIE
Présenter un spectacle à la fois populaire, drôle et touchant qui nous trouble et nous renverse un peu quant à nos préjugés ou certitudes. Nous brouillons les cartes dès le départ. Le titre « Je suis drôle » nous laisse toutes sortes d'interprétations possibles. Ce qui est montré, peut devenir autre chose l'instant d'après. Nous jouons dans ce spectacle avec les réalités, les croyances, et les apparences pour peut-être dégager du fatras quelque chose d'autre. Nous n'apportons pas de morale ou de réponse, l'essentiel n'étant pas là. Parler de choses graves, avec humour.
Nous portons une attention particulière au travail du son qui se fait en direct sur le plateau. Le choix d'un certain type de matériel (tourne-disque, ancien micro, bandes magnétiques...) plutôt qu'un bande son nous intéressait dans le sens que nous cherchions à toucher le sensible à différents endroits réceptifs du spectateur. Certains « grains » sonores, textures, nous grattouillent des lieux de notre corps, de notre mémoire... comme aucun autre.
Nous souhaitons que chaque spectateur ait la liberté de percevoir le spectacle différemment selon son propre vécu et imaginaire. Les couches et sous-couches que nous donnons à voir, entendre et sentir au travers d'une histoire assez simple à comprendre à priori, où l'humour et le tragique se côtoient, où les réalités apparentes sont aussi mouvantes que nos points de vue sur les choses, sur la vie..., c'est ici une part importante de ce travail. C'est un spectacle vivant qui peut varier selon les soirs, une marge de manoeuvre improvisée dans l'instant a été souhaitée.
L'espace et les accessoires : effets de transparences, matériaux « populaires » (toiles cirées, bâches de protection, chaises pliantes...). Nous souhaitons ici aussi, interagir avec l'imaginaire du spectateur, sur l'évocation, la suggestion, et la métamorphose. L'espace, les accessoires, matières en interaction avec la question du jeu, de la présence en scène, le propos et la lecture que nous avons fait de ce texte.
Le travail d'interprétation glisse d'un registre à l'autre, registre faisant référence par moment au one- woman-show, mais aussi, à toute un palette nous évoquant le clown, le théâtre réaliste, tragique, le music- hall... Le personnage est en métamorphose, en crise, en quête d'autre chose, en quête de soi peut-être. Les registres sont comme autant de fragments d'une personnalité qui éclate pour mieux se retrouver. Il se trouve que l'unique personnage présent de ce spectacle, Cathy Moulin, est comique de profession. Mais elle n'est plus en accord avec le fait de rire de tout. Elle remet en question « le rire » car elle voudrait pouvoir parler de choses graves, tellement plus graves... L'arme simple de la parole, communiquer, dire que ça va pas quand ça ne vas pas, dire « la vérité ». Dire que « je ne sais plus où ils sont mes rêves à moi... » dire que « j'ai besoin de choses vastes »... Dire autant que possible ce qui est... ne plus paraître. Tout en restant dans des problématiques courantes et assez communes, comme élever un adolescent toute seule, avoir 40 ans, la solitude, l'isolement, les difficultés financières, le travail, l'amour, nos désirs...
Une attention particulière a été portée sur le corps, sur ce qu'il dit, trahit, raconte. Notre corps est plein d'histoires, plein de phrases, plein de mots. Notre recherche, s'est basée sur les principes du Body-Mind Centering®, développé par Bonnie Bainbridge Cohen aux Etats-Unis et est influencé par l'IBMT (Integrative Bodywork and Mouvement Therapy) développé par Linda Hartley en Angleterre. Ces approches expérimentales du mouvement sont basées sur un dialogue riche entre corps et esprit et explorent leur interaction. Par la danse improvisée, le toucher, l'imagination et la découverte d'une anatomie expérimentée, nous avons exploré différents systèmes corporels. Chaque tissu, comme par exemple les fluides, les os ou les organes, s'exprime par des qualités et des énergies très spécifiques et influence notre manière de bouger...
EXTRAIT DU TEXTE
"Blaguons
Soyons légers
Marrons-nous
On se parlera
Pour de vrai
De nos êtres profonds
De nos rêves terribles
Dans une autre vie..."
"Vive les gueules d'enterrement, les patibulaires les renfrognés, vive les rois du mélodrame, les pas marrants, vive les chiants même des fois c'est vraiment bien un bon chiant, vive les bourrus, les pas bons vivants, les pas gais lurons, vive les tristes et les profonds."
"C'est drôle comme on pense
Aux plantes vertes
Quand on parle des enfants
On y pense sans y penser
Des plantes
Qui poussent des cris"
"Là-bas Rico
C'est le rocher
Avec
Les fous à pieds bleus
Les phaétons
Les otaries
Toi aussi
Tu es tout rouge
On croit toujours
Qu'on n'aura pas le temps de
Bronzer
Alors qu'on a le temps de
Rôtir
Comment ça va ?
J'aimerais
Une vraie réponse
Est-ce que tu es heureux ?
Il faut être Heureux
Il le faut
On n'a pas le choix
Après on boira
Un rhum..."
"...L'heure est grave : je pense à toi, face au rocher León Dormido et je me pète le cône à la bière de maïs. Je suis une Ulysse pathétique, que le voyage emmerde. Toi, mon Pénélope, accroché à Ithaque, dis-moi que je te manque, allez. J'ai envie de rentrer..."
"...Je serai l'arbre du quotidien, du provisoire que je contiens, l'arbre tragique dans ton enclos, celui des âges anciens et des âges à venir. Je serai l'arbre de ton enfance, planté à l'heure de ta naissance, l'arbre vert à la sève folle, je serai l'arbre mort qu'il faudra vénérer pour vivre bien, l'arbre des héros secrètement logés dans nos artères, je serai l'arbre que tu voulais, celui que tu ne voulais pas, tous les arbres à la fois. Je serai moi."